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Droits économiques et sociaux

Droit à l’emploi, à la sécurité sociale, à un salaire minimum, liberté de réunion et d’association, libre accès à l’emploi… Tels sont, pour l’économiste britannique Maurice Dobb (1900-1976), les éléments indispensables à intégrer dans une charte des droits de l’homme, si l’on veut imaginer une société nouvelle. Il a élaboré cette idée dans son texte envoyé en 1947, en réponse à l’enquête de l’UNESCO sur les fondements philosophiques des droits de l'homme.

Maurice Dobb

L'idée d'une déclaration des droits valable en tout temps et en toute circonstance est bien trop abstraite pour être défendable à notre époque, qui est bien plus consciente que les précédentes de l'ancrage historique des problèmes économiques et sociaux. Problèmes, besoins, droits et devoirs n'ont de sens que pris dans le cadre d'un ensemble particulier d'institutions sociales et de rapports sociaux – institutions et rapports qui sont soumis au changement historique et qui, dans le monde contemporain, changent continuellement sous nos yeux. Pourtant, des déclarations des droits peuvent avoir leur utilité en synthétisant les aspirations des esprits progressistes d'une époque donnée confrontés à une situation donnée et à une série de problèmes donnée : elles indiquent alors ce vers quoi les actions en faveur du progrès social doivent tendre.

Le premier impératif d'une société nouvelle quelle qu'elle soit est d'atteindre au plein emploi. C'est aujourd'hui une évidence, mais ce ne l'a pas toujours été, et il y en a encore qui, même de nos jours, s'y opposent ou qui, s'ils en acceptent la fin, n'en acceptent pas les moyens. Jusque récemment, le chômage était considéré comme un effet inévitable de ce qu'on appelle la « société libérale », voire une réserve souhaitable de main-d'œuvre sans laquelle une économie capitaliste serait privée d'un instrument vital de flexibilité et de discipline. Il est intéressant de noter à ce propos que la Constitution de l'URSS de 1936 faisait figurer au premier rang de ses « droits fondamentaux du citoyen » le « droit au travail » (article 118).

Bannir la pauvreté et la misère

Deuxièmement, il est nécessaire d'assurer à tous un niveau minimum de subsistance, suffisant pour bannir la pauvreté et la misère. Ce point revêt deux aspects. En premier vient l'assurance, par un système complet de sécurité sociale, contre la perte de la capacité de gain due aux risques auxquels le salarié est exposé : risques amenés par les accidents, la maladie et la vieillesse. Ensuite vient une assurance concernant les conditions minimales d'emploi : l'interdiction de contrats n'offrant pas un gain minimum normalisé. Tout cela n'est pas qu'une affaire d'aspirations : c'est aussi une question de réalisation, alors que la norme considérée comme la norme minimale – comme un « salaire permettant de subvenir aux besoins » – est, quant à elle, susceptible de changer d'une génération à la suivante, et varie avec le niveau de développement social et historique des diverses régions du monde.

Dans de très vastes régions, toute norme minimale souhaitable est à l'heure actuelle inatteignable (même en changeant radicalement la répartition du revenu) du fait du faible niveau de productivité de l'heure de travail. Ici, la réalisation pratique de ce « droit » exige au préalable un développement planifié de ces régions (développement systématiquement intégré sous les auspices des pouvoirs publics sur un vaste territoire et non abandonné au laisser-faire et, de préférence, accompagné d'une aide financière extérieure, à condition que cette assistance ne soit pas elle-même assortie de conditions politiques indésirables).

Une garantie pour tous

Troisièmement, il est nécessaire que les libertés de réunion et d'association soient garanties pour tous les employés. La liberté d'association devrait, en outre, être rendue effective par l’obtention du droit pour toutes les associations de travailleurs représentatives de négocier les conditions d'emploi et d'être représentées au sein des organes chargés de leur surveillance. Il est manifestement contraire à la dignité de l'homme que la main-d’œuvre soit considérée (jusqu'à ce jour) comme un simple facteur de production à charge, n'ayant pas son mot à dire sur l'orientation de la politique industrielle.

Quatrièmement, il est indispensable que l'emploi et l'accès aux moyens de subsistance ne soient restreints pour aucun motif de race, de confession, d'opinion ou d'appartenance à une association légitime quelconque.

Interdire les monopoles privés

On peut soutenir raisonnablement que la détention des moyens de production (y compris la terre) en propriété privée par des individus, à une échelle telle qu'elle en interdit l'accès indépendant à une partie importante de la communauté, constitue une violation des droits économiques de l'homme dans le sens plein du terme. Lorsque la propriété de la terre et des équipements de production est concentrée entre les mains d'une classe, le reste de la communauté n’a d’autre choix que de lui louer ses services pour subvenir à ses besoins. Cette situation crée de fait une forte inégalité des droits et prive considérablement la classe des non-propriétaires d'une partie de leur liberté.

Une telle interprétation des droits de l’homme est, bien sûr, irréconciliable avec le capitalisme en tant que système économique. Sous une forme modifiée, cependant, cette interprétation pourrait être soutenue pour interdire l'existence des monopoles privés qui dominent des secteurs entiers de l’économie et contrôlent la production et la vente de biens essentiels à l'existence humaine ou de matières premières et de fournitures essentielles à la production, et qui sont par conséquent en position de dicter leurs conditions aux consommateurs privés ou aux autres producteurs.

Maurice Dobb

Économiste marxiste de renom, l’universitaire britannique Maurice Dobb (1900-1976) a enseigné à l’université Cambridge (Royaume-Uni). Après avoir rejoint le Parti communiste de Grande-Bretagne en 1920, il a été l’un des fondateurs du groupe des historiens du parti.

Droits de l'homme : retour vers le futur
UNESCO
octobre-décembre 2018
UNESCO
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