Idée

En Argentine, un algorithme pour lutter contre le décrochage scolaire

Depuis 2022, les établissements de la province de Mendoza ont recours à l’intelligence artificielle pour détecter les élèves les plus susceptibles de quitter prématurément l’école.
An algorithm to combat school dropout in Argentina

par Natalia Páez
Journaliste à Buenos Aires, Argentine

Au pied des montagnes de la précordillère des Andes, dans la ville argentine de Mendoza, à près d’un millier de kilomètres à l’ouest de Buenos Aires, se trouve l’établissement d’enseignement secondaire Victoria Ocampo. Cette école publique, située dans le quartier populaire de « Brasil de Villa Hipódromo », est entourée d’habitats précaires.

« La Ocampo », comme on l’appelle dans le quartier, est l’une des écoles participant à l’initiative pilote d’un système d’alerte précoce qui vise, par l’intermédiaire d’un logiciel d’intelligence artificielle, à prévenir la déscolarisation.

Cette initiative, lancée en 2022, est financée par la Tinker Foundation, basée aux États-Unis. Le système, conçu par le Laboratoire d’intelligence artificielle appliquée de l’Université de Buenos Aires, envoie des alertes si un décrochage est détecté puis met en place une action. Dans la province de Mendoza, cette initiative touche l’ensemble des élèves du secondaire.

Tableau de bord

L’algorithme nécessite l’existence d’une base de données vieille d’au moins deux ans, ce qui est le cas de la province de l’ouest du pays. Le système fournit aux établissements des informations précises sur la situation des élèves. « Lorsqu’un directeur ouvre le module, il accède à une carte de ses classes et à la liste de ses étudiants. À côté de chaque nom, un voyant indique le niveau de risque de déscolarisation. Il s’agit d’un tableau de bord. L’algorithme mesure quatre variables : les résultats, les absences, le niveau d’instruction de la famille et le retard de scolarité », explique Juan Cruz Perusia, spécialiste du Centre de mise en œuvre des politiques publiques pour l’équité et la croissance.

Lorsque Manuel Giménez, directeur de l’établissement Ocampo, a consulté ses voyants, il a constaté, par exemple, que les frères Esteban et Rodrigo (âgés de 13 et de 14 ans), respectivement en première et deuxième année, étaient particulièrement exposés au risque d’abandon scolaire. « Ces élèves, dont j’ai modifié les noms pour préserver leur identité, sont issus d’une famille qui ne considère pas leurs études comme une priorité. Ils habitent l’une des zones d’élevage du piémont et leur historique d’assiduité est presque nul. Nous avons donc décidé d’utiliser d’autres outils afin d’inverser la situation. Par exemple, le “système de scolarité protégée” nous permet d’instaurer un cursus adapté à la réalité des élèves », explique le directeur.

Identification des causes

Selon les données de l’Enquête permanente sur les ménages en Argentine, le taux de décrochage s’élève à 30 % dans le secondaire. Trois élèves sur dix ne vont pas au bout de leur scolarité. Au lancement de ce projet en 2022, l’Argentine ne disposait pas d’un système universel, c’est-à-dire de bases de données recensant le nom, le parcours, les résultats, les absences, etc., des élèves.

Trois élèves du secondaire sur dix en Argentine ne vont pas au bout de leur scolarité]

« La consolidation d’une base de données rassemblant tous les effectifs scolaires n’est pas terminée. Mais, avec près de huit millions d’élèves enregistrés, ce dispositif recense déjà 80 % des effectifs et il devrait être étendu à l’intégralité du territoire dans les mois qui viennent », a assuré Jaime Perczyk, le ministre de l’Éducation argentin.

Les cas de décrochage ne sont pas uniquement liés à des problèmes socio-économiques. Francisco, un adolescent de 17 ans, est scolarisé à l’école José Patrocinio Dávila du secteur Las Heras, à Mendoza. Inscrit en quatrième année du secondaire, il présente un retard de scolarité lié à un long traitement médical. Son numéro de dossier ayant fait l’objet d’une alerte, la directrice Eliana Moreira et son équipe ont entamé un travail d’approche. Mais la méthode a ses limites. « Il n’est pas motivé et n’a pas envie d’aller en cours, que pouvons-nous faire de plus pour lui ? » se demande l’équipe.

Implication émotionnelle

Pour José Thomás, directeur général des écoles de la province de Mendoza, cette initiative s’avère malgré tout concluante. « J’ai été surpris par la manière dont les enseignants ont accepté l’utilisation de ce logiciel d’intelligence artificielle. De plus, il suscite une implication émotionnelle chez le directeur chargé de le renseigner. Il dispose des informations nécessaires pour établir un lien affectif, une donnée essentielle dans ce type de situations. Il sait si le problème vient du manque de soutien chez l’élève, s’il est obligé de travailler pour aider sa famille ou encore s’il rencontre des difficultés dans certaines matières. »

Une fois collectées auprès des établissements, ces données remontent au niveau des autorités provinciales. « Le défi consiste alors à les utiliser d’une manière pertinente, mettre en œuvre des politiques adaptées et obtenir le budget nécessaire », souligne José Thomás.

À ce stade, le recul manque pour évaluer précisément l’efficacité d’un tel dispositif. Mais le directeur de l’école Ocampo, à la tête d’un établissement où le taux de décrochage est élevé, se veut optimiste. « La multiplication de ce type d’outils nous aide beaucoup. Il nous permet de rester attentifs. Nous ne nous contentons pas de renseigner une statistique dans une perspective administrative, nous appliquons une action cohérente par rapport à ce qui se passe dans notre établissement. Les chiffres cessent d’être des chiffres pour devenir des histoires. »

L'école à l'heure de l'intelligence artificielle
Le Courrier de l'UNESCO
octobre-décembre 2023
UNESCO
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