Article
Génération afropreneurs
Par Ayoko Judith Mensah
De Dakar à Nairobi, les jeunes sont au cœur de la révolution numérique en train de s’opérer sur le continent africain. Incubateurs de start-up, fab labs (laboratoires de fabrication), sites et services numériques, nouveaux espaces collaboratifs : une jeunesse de plus en plus nombreuse, technophile, hyper connectée, diplômée et débrouillarde, se lance dans les nouveaux champs de l’économie numérique.
On surnomme volontiers cette nouvelle génération, les afropreneurs. Quelle que soit la diversité de leurs activités, ils partagent un ADN commun : le numérique, une approche indissociable du local et du global et la volonté de contribuer à améliorer les conditions de vie à travers l’Afrique.
À Dakar, Karim Sy, fondateur des Jokko Labs en 2010, est sans doute le plus connu de ces jeunes entrepreneurs. Son organisation à but non lucratif se définit comme « un cluster virtuel pour la transformation sociale basé sur une communauté d’entrepreneurs et un réseau de centres d’innovation ». Mais bien d’autres acteurs méritent d’être signalés, comme par exemple la start-up Agendakar (premier portail web culturel de la capitale) ou le jeune entrepreneur Ousseynou Khadim Bèye qui a conçu Cross Dakar City, un jeu vidéo pour Smartphone qui a pour ambition d’alerter le grand public sur le triste sort de nombreux talibés, ces élèves d’écoles coraniques exploités et réduits à la mendicité qui errent à travers Dakar.
Il y a fort à parier que ces porteurs d’innovation dans le champ des industries culturelles et créatives seront également des acteurs de Diamniadio, la future première smart city (ville intelligente) du Sénégal, située à seulement 30 kilomètres de la capitale, qui devrait voir le jour dans quelques années.
De la ville intelligente à la ville vernaculaire
La construction de cette smart city n’est pas isolée sur le continent. Témoins de la révolution en cours, d’autres projets de villes ou de pôles numériques d’excellence se développent à grande vitesse dans nombre de pays. Au Nigéria, où la Yabacon Valley, dans l’un des quartiers de Lagos, constitue déjà le hub africain le plus réputé, mais également au Kenya, où Konza City, dite aussi Silicon Savannah, abrite plus de 250 start-up. On trouve des exemples similaires au Bénin, qui a développé le projet Benin Smart City, au Maroc, où le projet e-Madina est à l’œuvre à Casablanca, mais aussi au Rwanda et en Afrique du Sud.
Si le développement de ces nouveaux pôles urbains ouvre incontestablement de nouvelles perspectives pour la jeunesse africaine, il suscite aussi de nombreuses questions. Le Togolais Senamé Koffi Agbodjinou, chercheur indépendant en architecture et en anthropologie, fondateur de la plateforme L’Africaine d’architecture en 2010, estime que la smart city africaine ne doit pas chercher à répliquer les exemples occidentaux mais à inventer son propre modèle en s’appuyant sur les spécificités locales. C’est ce qu’il appelle la « modernité ancrée », qu’il développe dans un quartier de Lomé, la capitale togolaise, où il a ouvert le Woelab, « Silicon Village, premier espace africain de démocratie technologique » qui a pour objectif de rendre accessible la haute technologie à l’ensemble de la population locale.
« Nous devons aller au-delà de la smart city, vers la ville vernaculaire de demain, la sharing city », plaide S. K. Agbodjinou, qui a développé la théorie du #LowHighTech. Il s’agit d’un concept de démocratie digitale et d’intelligence collective qui vise à autonomiser les habitants d’un quartier : « Nous sommes les seuls en Afrique à réunir en un même lieu et sur des projets communs des designers, des développeurs, des maçons, des menuisiers, des couturiers et même des SDF », affirme-t-il dans un article de Forbes Afrique.
Incubateur de start-up, espace de formation ouvert à tous où se déroulent régulièrement des ateliers participatifs, le Woelab fait parler de lui à travers le monde. Il faut dire que l’équipe a réussi à mettre au point une prouesse technologique : la W.Afate, la première imprimante 3D fabriquée à partir de déchets électroniques !
Ayoko Judith Mensah
Ayoko Judith Mensah est une journaliste et consultante franco-togolaise. Après avoir fondé et dirigé le magazine Afriscope, elle travaille comme expert pour le programme UE-ACP d’appui aux secteurs culturels ACP, ACPCultures+, à Bruxelles. Elle est actuellement consultante pour l’Africa Desk du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.