Idée

Qui a (encore) peur du grand méchant loup ?

Il a longtemps été le méchant par excellence des contes traditionnels, une métaphore de la bestialité et de la traîtrise. Mais à mesure qu’il disparaissait des forêts, le loup a changé de statut et sa représentation a évolué au point qu’il apparaît parfois désormais comme un allié des enfants dans les livres jeunesse.
Illustration de Le Loup, de Sara, éditions Thierry Magnier, 2000.

Debra Mitts-Smith 
Auteure et professeure émérite spécialiste de littérature enfantine et jeunesse, Debra Mitts-Smith est titulaire d'un doctorat en bibliothéconomie de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign (États-Unis). Elle contribue régulièrement à la revue International Wolf et a publié en 2010 une étude sur les images du loup dans la littérature enfantine.

Piochez dans une pile de livres pour enfants et vous y trouverez des loups affublés de casquettes, de hauts-de-forme et de salopettes. Les uns ressemblent plus à des hommes qu'à des loups, les autres plus à des loups qu'à des hommes. Et si beaucoup jouent toujours le rôle qui leur a été assigné, certains se rebellent et vous content leur version des faits.

Qu’il se présente au coin d'un bois, devant votre porte, dans un pré ou dans une cour de ferme, le loup de la littérature enfantine est d’abord et avant tout un prédateur. Dans les contes destinés à enseigner la prudence, comme Le Petit Chaperon rougeLes Trois Petits Cochons ou Le Loup et les sept chevreaux, et dans bien des fables d’Ésope remontant à la Grèce antique, la prédation du loup sert de métaphore à la malfaisance humaine. Ses cibles (les faibles, les enfants et les malades) et ses tactiques (le flirt, la tromperie ou l’intimidation) font de lui un traître amoral qu’il convient de punir.

Mais le loup est aussi un animal réel, grand carnivore autrefois présent dans tout l’hémisphère Nord. Pour les Européens et les Américains d’origine européenne, il constituait une menace pour les hommes et leur bétail, déchaînant leurs peurs et brouillant les frontières entre réel et symbolique.

On trouve des variantes du Petit Chaperon rouge en Europe, en Asie et en Amérique du Nord

L'histoire du Petit Chaperon rouge, une fillette partie rendre visite à sa grand-mère alitée qui croise un loup sur son chemin, mérite qu'on s'y arrête. On en trouve des variantes en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. Celles des livres pour enfants puisent principalement à deux sources : le recueil de contes populaires oraux français de Charles Perrault de 1697, et celui des contes populaires allemands collectés par les frères Grimm au XIXe siècle. Dans la version de Perrault, le loup dévore la fillette et sa grand-mère, tandis que dans celle des frères Grimm un chasseur tue le loup, lui ouvre le ventre et libère les deux victimes. Lon Po Po, l’ouvrage de l’illustrateur sino-américain Ed Young de 1989, ajoute une variante chinoise, où ce sont trois jeunes sœurs qui déjouent les pièges du loup.

Changement de statut

Vers la fin des années 1800, quand les efforts pour éradiquer le loup de l’ouest des États-Unis ont commencé à porter leurs fruits, plusieurs publications l’ont présenté sous un jour plus compatissant. C’est le cas dans Lobo, le roi des loups, la nouvelle publiée en 1898 par l'auteur et illustrateur canadien Ernest Thompson Seton, dans les romans de l'écrivain américain Jack London, L'Appel de la forêt (1903) et Croc-Blanc (1906). Bien que manquant de réalisme, ces loups n’en sont pas moins admirables.

Il faudra pourtant attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir la représentation du loup bouleversée dans la littérature enfantine occidentale. Plusieurs facteurs, dont les débuts de l’étude scientifique du loup, sa quasi-extinction et son changement de statut juridique d'espèce pourchassée en espèce protégée, ont contribué à la prolifération d'ouvrages grand public favorables au loup.

La quasi-extinction du loup a contribué à la prolifération d'ouvrages favorables à l’espèce menacée

La diffusion d'informations sur le loup réel a incité à en donner des représentations plus nuancées, dans la non-fiction comme dans la fiction. On n’en nie certes pas le caractère prédateur, mais celui-ci n'est qu’un trait parmi d'autres de l'animal social dont on souligne le rôle vital pour les écosystèmes.

Dans Face to Face with Wolves (2008), l'écrivain et photographe américain Jim Brandenburg se passionne pour la vie en meute, soulignant la similitude entre la vie du louveteau et celle de l’enfant d'homme. La biographie fictive de Rosanne Parry, Wander (2019), conte l’histoire vraie d’un loup qui parcourut plus de 1 600 kilomètres à la recherche d'une compagne, tandis que When the Wolves Returned (2008), de l'écrivaine américaine Dorothy Hinshaw Patent, peint le retour des loups dans leurs anciens habitats.

Si, dans les contes traditionnels, les loups solitaires constituaient une menace, ceux de la non-fiction ou de la fiction réaliste actuelle sont vulnérables et inoffensifs. Fondées sur des études scientifiques, ces nouvelles approches redéfinissent la condition du prédateur en insistant sur les dangers et les défis auxquels les loups sont confrontés.

Lycanthropes et loups-garous

Deux motifs associés au loup sont devenus une source d'inspiration pour les auteurs et illustrateurs de littérature enfantine : les enfants élevés par des loups et les loups-garous. Ils renouvellent à la fois le thème du loup et sa relation à l'enfance.

L'auteur anglais Rudyard Kipling ouvre ses Livres de la jungle (1894-95) sur le secours apporté par une meute de loups à Mowgli, le « petit d'homme ». Dans Julie of the Wolves (Julie des loups) de l'écrivaine américaine Jean Craighead George (1972), une meute de loups sauve le jeune protagoniste des griffes d'humains malfaisants.

D'autres histoires, comme A Wolf's Story, de l’écrivain américain David McPhail (1981), mettent en scène des enfants qui sauvent un loup. Et dans Perdus dans la neige, de l'illustrateur américain Matthew Cordell (2017), le sauvetage est réciproque : une fillette sauve un louveteau, puis elle est à son tour secourue par sa meute.

Les lycanthropes ou humains métamorphosés en loups sont présents dans de nombreuses cultures

Les lycanthropes ou humains métamorphosés en loups sont présents dans de nombreuses cultures, avec des significations différentes. Les auteurs de mangas japonais y ont souvent recours pour explorer le lien des hommes à la nature et les rôles de genre.

À l’opposé, dans les livres pour enfants occidentaux, prendre l’apparence du loup devient un mode d'expression pour les enfants protagonistes, faisant d'eux les loups de fiction les plus féroces. Dans Max et les Maximonstres (1963), de l'auteur et illustrateur américain Maurice Sendak, Max, un jeune garçon, enfile un costume de loup pour libérer sa bête intérieure, tandis qu'Ulysse, dans Le Masque (2001), de l’écrivain et illustrateur français Grégoire Solotareff, se couvre d'une peau de loup pour protéger des enfants de prédateurs humains.

Les histoires de loups se prêtent aussi à merveille aux parodies. Dans La Vérité sur l'affaire des trois petits cochons (1989), de Jon Scieszka et Lane Smith, le loup se déclare victime d'une méprise et présente sa propre version de l’histoire. En France, l'écrivain et illustrateur Geoffroy de Pennart reprend en les parodiant l'image du loup et d’autres animaux des contes traditionnels, comme dans Chapeau rond rouge (2005), où il modernise le récit ancestral, réécrivant l’histoire sur le mode humoristique, loin de toute leçon de morale.

À Munich, la plus grande bibliothèque jeunesse au monde

Installée dans un château munichois du XVe siècle, l'Internationale Jugendbibliothek est bien plus qu'une bibliothèque : c'est une fête permanente de l'écrit, dont le calendrier bien rempli propose une ribambelle d’expositions, d'ateliers et de concerts.

Inaugurée en 1949 et récemment rénovée, c'est la plus grande bibliothèque de littérature enfantine au monde. Ses 27 000 ouvrages rédigés dans plus de 24 langues peuvent être empruntés gratuitement, le stock étant constamment mis à jour et enrichi de titres nouveaux et primés.

Créée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l'Internationale Jugendbibliothek considère la littérature jeunesse comme le ferment de la vie culturelle de toute société. Sa fondatrice, Jella Lepman, auteure de livres pour enfants et journaliste, exilée au Royaume-Uni pendant la Seconde Guerre mondiale, s'était donné pour mission à son retour en Allemagne d'aider les enfants traumatisés par la guerre. Sa manière à elle de les aider a consisté à promouvoir l'alphabétisation culturelle des enfants et des jeunes. 

En plus de prêter des livres, cette institution propose de nombreuses activités culturelles comme des lectures, des tables rondes et des conférences, ainsi qu'un festival international de littérature. Elle a récemment proposé aux familles une exposition d'illustrations de fables animalières tanzaniennes, un concert de l'Orchestre de la Radiodiffusion bavaroise inspiré d'un succès de la littérature jeunesse, et une lecture de l'auteure germano-nigériane Efua Traoré. D'autres projets éducatifs invitent les adolescents à approfondir certains sujets brûlants : une semaine de réflexion sur l'autodafé de livres s'est ainsi achevée par une représentation théâtrale.

Soixante-quinze ans après sa création, l'Internationale Jugendbibliothek peut se targuer d’être à la fois un pôle d'éducation et de loisirs jeunesse au niveau local et une ressource internationale sans équivalent en matière de littérature jeunesse.

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