Idée

Le café turc, une boisson et des traditions

Apparu au milieu du XVIe siècle, le café turc s’est progressivement imposé dans l’Empire ottoman comme un rituel social de premier plan. L’apparition de chaînes de cafés occidentales depuis quelques années n’a pas réussi à détrôner cette boisson emblématique.
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Fulya Ozerkan

Journaliste à Istanbul, Türkiye

Le matin, une foule dense se presse devant les étals colorés d’Eminonu, ce quartier ancien de la rive sud de la Corne d’Or. Une boutique en particulier attire les clients : Kuru Kahveci Mehmet Efendi, qui propose du café turc. Pour s’y rendre, on peut aussi suivre l’arôme puissant qui flotte dans l’air à la sortie du Grand Bazar d’Istanbul.

Parmi ceux qui font la queue, Guldane Aktas, 50 ans, boit deux tasses de café turc par jour. L’odeur caractéristique des grains de café torréfiés lui donne le moral. « Cela vaut la peine de faire la queue. Le café est très frais, dit-elle. Chaque fois que je passe à Eminonu, je ne repars pas sans mon paquet de café turc. »

« Le café turc est fort mais nous aimons son goût », dit Safiye, une réfugiée syrienne qui fait la queue aux côtés de son mari.

Pour Cenk Girginol, auteur de Le Café : du terroir à la tasse, le café turc fait partie intégrante de la culture du pays où, selon le proverbe, une tasse de café peut faire naître une amitié de quarante ans. La culture et la tradition du café turc ont d’ailleurs été ajoutées à la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2013 (voir encadré).

Café salé pour le marié

Le café faisait autrefois partie intégrante de la vie sociale dans les cafés de quartier. En Anatolie, c’était même un mode de résolution des conflits. Quand une dispute éclatait entre deux habitants, on servait un café de l’amitié pour ouvrir le dialogue et mettre fin à leur querelle.

Aujourd’hui encore, il joue un rôle majeur dans les rituels de mariage. Lorsque le prétendant rend visite à la famille de la future mariée, celle-ci doit préparer un café turc parfait. Autrefois, c’était souvent la seule occasion qu’avaient les futurs mariés de se rencontrer. Si la future mariée était séduite, elle préparait un café sucré. Dans le cas inverse, elle mettait du sel dans son café. Aujourd'hui, cette tradition a évolué. Certaines futures mariées servent du café salé à leur promis pour mesurer la force de leurs sentiments. Si ce dernier boit le café salé sans le recracher, cela prouve qu’il est attaché à la jeune fille.

En Anatolie, quand une dispute éclatait, on servait un café de l’amitié pour mettre fin à la querelle

« Le café a toujours constitué un prétexte pour engager la conversation », explique de son côté Cenk Girginol. La vie quotidienne est rythmée par le « café du matin » (sabah kahvesi), le « café du plaisir » (keyif kahvesi) ou encore « café de la fatigue » (yorgunluk kahvesi).

La préparation du café est une véritable cérémonie qui nécessite une petite casserole à longue poignée, cezve, et une petite tasse à café, fincan, avec sa soucoupe. Au début de l’ébullition, une mousse se forme à la surface ; elle constitue l’élément distinctif d’un bon café turc, qui se déguste généralement avec un verre d’eau et un loukoum.

« La lecture de prophéties dans le marc de café est elle aussi un rituel », ajoute Cenk Girginol. Ce passe-temps populaire est pratiqué entre amis ou auprès de professionnels de la voyance. Il existe même des applications, comme Falaaddin, qui fournissent des prédictions à partir de photos du marc resté au fond de la tasse.

Mouture et torréfaction

L’histoire du café turc remonte au XVIe siècle et au règne du sultan ottoman Soliman le Magnifique. La légende veut qu’un gouverneur ottoman en poste au Yémen en soit devenu friand et l’ait introduit dans la cuisine du palais.

« Le premier café a été ouvert à Istanbul en 1554 », assure Cenk Girginol. Il explique que, pendant le siège de Vienne en 1683, les troupes ottomanes ont abandonné des sacs de café après avoir échoué à prendre la ville, introduisant ainsi le café en Europe. « Sa popularité s’est rapidement étendue à d’autres pays. »

« Lorsque les grains de café arrivaient dans les terres ottomanes, ils étaient torréfiés, moulus et préparés afin de leur conférer un goût unique. Si nous prenons tous plaisir à boire du café aujourd’hui, c’est parce que les Turcs ont introduit une nouvelle technique de préparation au XVIe siècle », explique l’entrepreneuse turco-américaine Gizem Salcigil White, connue sous le nom de « Madame Café turc ». « Cinq siècles plus tard, cette ancienne casserole, cezve, est encore utilisée en Türkiye ainsi que dans de nombreux pays des Balkans et du Moyen-Orient », ajoute-t-elle.

Depuis 2012, elle parcourt le monde avec un camion à café turc afin de mieux faire connaître la culture du café turc aux États-Unis et ailleurs.

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Café de rue à Istanbul, vers 1900

Le terme « café turc » ne désigne pas le café produit en Türkiye, mais la méthode de fabrication : le degré de torréfaction et la mouture

Le terme « café turc » ne désigne pas le café produit en Türkiye, selon Osman Serim, membre du conseil d’administration de l’Association culturelle turque de recherche sur le café. « Ce n’est pas le type botanique mais la méthode de fabrication qui compte : le degré de torréfaction et la mouture. » Dans le café turc, les grains sont moulus encore plus finement que dans l’espresso italien, indique Osman Serim. « Cela permet de servir le café avec le marc, lequel n’entre pas dans la bouche. »

Comme partout ailleurs, des chaînes de cafés occidentales ont fait leur apparition en Türkiye depuis quelques années. Mais pour Cenk Girginol, la popularité des marques étrangères n’est pas près d’éclipser le café traditionnel.

Osman Serim est du même avis. « Le café turc reste très populaire, y compris chez les jeunes. Il n’est pas près de disparaître. »

Le café turc reconnu comme patrimoine culturel immatériel

La culture et la tradition du café turc ont été inscrites sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2013, reconnaissant ainsi ses modes uniques de préparation et ses traditions de consommation comme un des piliers du patrimoine culturel turc.

Pour obtenir un café turc, il faut moudre finement des grains fraîchement torréfiés, puis on verse cette poudre, additionnée d’eau froide et de sucre, dans une cafetière que l’on met à bouillir lentement pour produire la mousse souhaitée. La boisson est servie dans de petites tasses et se consomme souvent dans des cafés.

Cette tradition imprègne toutes les couches de la société. Célébré dans la littérature et les chansons, le café turc est un symbole d’amitié, d’hospitalité et de raffinement. Il joue un rôle clé lors d’événements sociaux tels que les cérémonies de fiançailles et les fêtes.

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