Idée

Marisha Rasi-Koskinen, plume rebelle

Auteure couronnée par de nombreux prix, psychologue scolaire et ex-punk, Marisha Rasi-Koskinen occupe une place unique sur la scène littéraire finlandaise. Ambitieux et sans tabous, ses livres parlent aux adolescents parce qu’ils traitent de problèmes qui les concernent.
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Anuliina Savolainen
UNESCO

Que feriez-vous si vous vous retrouviez face à une version plus jeune de vous-même ? La question est au cœur du roman jeunesse de Marisha Rasi-Koskinen, La Face cachée du soleil, où une adolescente s’aventure dans les limbes de la mémoire et explore la réalité cachée sous la surface d’une ville minière isolée. Au cours de son voyage dans le temps, elle rencontre différentes versions d’elle-même. Mélange envoûtant d’histoire de passage à l’âge adulte, de conte dystopique et de thriller de science-fiction, le livre a remporté le prix Finlandia de littérature enfance et jeunesse en 2019. « J’appellerais cela de la fiction spéculative dans laquelle la réalité prend une tournure inattendue », explique l’écrivaine et psychologue finlandaise. 

Née en Finlande en 1975, Marisha Rasi-Koskinen est l’auteure de sept livres, dont deux sont des romans pour adolescents et jeunes adultes. À ce jour, son œuvre a été traduite en danois, français, galicien, hongrois, espagnol et lituanien. Qu’ils s’adressent aux adultes ou aux enfants, ses romans portent sur l’ambiguïté des souvenirs et les rapports de force dans les relations humaines. Ses personnages sont rarement figés dans l’enfance, l’adolescence ou l’âge adulte : leur identité oscille entre passé, présent et futur. Se trouver, se perdre et sortir de l’ordinaire sont d’autres de ses thèmes récurrents.

Une jeunesse anticonformiste

Marisha Rasi-Koskinen aime les histoires à rebondissements depuis sa plus tendre enfance. Elle a grandi à Viisarimäki, un petit village du centre de la Finlande bordé de forêts et de lacs. Pour cette grande lectrice, la bibliothèque du village voisin est rapidement devenue une deuxième maison.

Adolescente, elle a été une « punk anticonformiste » : elle fabriquait ses propres vêtements, portait un blouson de motard et arborait des mèches vertes. Au lycée, elle a choisi l’option « psychologie », ce qui l’a amenée à étudier la psychologie sociale à l’université de Tampere, dans l’ouest de la Finlande, et à exercer la profession de psychologue scolaire.

« Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, j’ai commencé à travailler avec des enfants dans des familles, d’abord dans un centre de conseil familial, puis en tant que psychologue scolaire », dit-elle. Pendant cette période chargée, elle a également écrit son premier roman et s’est occupée de ses propres jeunes enfants avant de devenir écrivaine à plein temps en 2019.

Injonction à la disponibilité

Quatre ans plus tard, Marisha Rasi-Koskinen est de passage à Paris pour promouvoir la traduction en français de son roman de 650 pages, Regarde (2020), qui a remporté en 2021 un autre prix littéraire prestigieux : le prix Runeberg. Il y est question de l’amitié entre deux adolescents, Lucas et Cole, dans un monde dominé par les images et les réseaux sociaux.

« Dans la “culture de l’enregistrement” actuelle, les enfants sont toujours disponibles, joignables par les parents ou d’autres personnes, et ils peuvent être captés sur un écran à tout moment. On ne connaîtra les effets de cette injonction permanente sur leur personnalité qu’après coup », analyse-t-elle.

Dans la « culture de l’enregistrement » actuelle, les enfants peuvent être captés sur un écran à tout moment

La présence calme et rassurante de la psychologue est perceptible dans sa posture, mains croisées sur les jambes. Pourtant, ses cheveux écarlates, son goût pour les plats véganes et son attirance pour les marges sont autant d’indices que l’adolescente rebelle n’a pas complètement disparu. Elle emprunte encore des piles de livres et aime écrire à la bibliothèque publique, un lieu qu’elle considère comme « une métaphore de l’État-providence : tout le monde peut y aller, cela ne coûte rien et c’est ouvert à tous ».

Son expérience en tant que psychologue – des années passées à décoder les émotions, à détecter les raisons des difficultés d’apprentissage et à écouter les préoccupations des enfants, des enseignants et des parents – a naturellement nourri son écriture. « La psychologie, en particulier la psychologie sociale, et l’écriture sont étroitement liées pour moi. Prendre conscience du fait que nous recomposons la réalité en fonction de nos conversations et que nous adaptons nos récits en fonction de nos interlocuteurs, m’a ouvert des perspectives qui se reflètent dans mon écriture. Il y a l’ombre de l’autre derrière chaque histoire. »

Convoquer l’adolescent en soi

L’écriture de Marisha Rasi-Koskinen permet à ses œuvres de proposer plusieurs niveaux de lecture. L’auteure assume pleinement la complexité de ses récits. « Quand j’écris pour un jeune lectorat, j’essaie de les accompagner tout au long de l’histoire jusqu’à sa fin, d’être plus axée sur l’intrigue et de m’appuyer davantage sur l’action. Mes livres pour la jeunesse ne sont toutefois pas faciles à lire – j’écris pour des gens qui aiment déjà lire », admet-elle. Preuve que les adolescents ne sont pas rebutés par ses récits exigeants, La Face cachée du soleil a remporté en 2020 le prix Nuori Aleksis, décerné par un jury de lecteurs adolescents.

Lorsqu’elle écrit pour les jeunes, elle donne la parole à l’adolescente qui est en elle. « J’écris avec elle. Elle est aussi ma lectrice implicite. L’adulte que je suis est là pour la soutenir, mais n’a pas le droit de la juger ni de lui donner des leçons », explique-t-elle.

« Il est bon d’avoir des livres faciles à lire pour inculquer l’amour de la lecture, mais nous avons également besoin d’une littérature jeunesse plus ambitieuse, ajoute-t-elle. Lorsqu’on écrit pour les jeunes, on peut aborder tous les sujets mais il faut que l’action s’inscrive dans leur univers. Lire des récits de problèmes relationnels entre quadragénaires quand on a quinze ans n’est pas forcément très inspirant… »

Lorsqu’on écrit pour les jeunes, il faut que l’action s’inscrive dans leur univers

Les livres de Marisha Rasi-Koskinen sont aussi une manière de se réconcilier avec cet âge qu’on dit ingrat, ce moment fragile où toutes les portes sont ouvertes, du moins en théorie. « Il est intéressant de relever ce paradoxe : alors que nous idéalisons notre jeunesse, nous avons tendance à rejeter notre adolescence. Souvent, d’ailleurs, les gens souhaitent avoir des enfants, mais pas vraiment des adolescents. D’où vient ce regard négatif sur des jeunes que nous avons été ? » s’interroge-t-elle.

Si elle pouvait voyager dans le temps, comment Marisha l’adolescente verrait-elle son aînée aujourd’hui, entourée de journalistes parisiens et filmée par son éditeur français pour une vidéo promotionnelle ? Marisha Rasi-Koskinen éclate de rire : « J’aime à penser qu’elle serait soulagée de voir l’adulte que je suis devenue et qu’elle ne la trouverait pas si bête finalement… »

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