Dans les campagnes chinoises, les écrans réduisent les distances

par Su Peng
Journaliste à The Southern Weekend (Nanfang Zhoumo) (Chine)

Chaque jeudi, une salle de réunion est réservée pour He Jialuo près de la technopole de Zhongguancun à Pékin, en Chine. Quand elle allume la caméra de son ordinateur portable à 13 h 30, treize élèves de l’école élémentaire de Songping, située à 1 500 km de là à Longnan dans la province du Gansu, apparaissent à l’écran avec des tambourins, prêts pour leur cours de musique en ligne.

Pour préparer ses cours et y ajouter de nouvelles séquences, cette diplômée en arts et littérature chinoise de 32 ans, qui enseigne la musique en tant que professeur volontaire, utilise un logiciel reposant sur l’intelligence artificielle (IA). Il ne se contente pas de filtrer les contenus inappropriés, notamment violents. Il propose aussi des devoirs et peut même suggérer des améliorations telles que : « Vous pourriez envisager un exercice collectif tel qu’un quiz. »

L’école élémentaire de Songping se trouve dans un village rural. Selon les chiffres du ministère chinois de l’Éducation, le pays comptait 81 547 établissements comme celui-ci en 2021. Les écoles de campagne périclitent à mesure que l’urbanisation s’accélère et que le nombre d’élèves baisse. Un seul enseignant est généralement chargé de toutes les matières. Dans ce contexte, proposer des cours de qualité en arts, musique et informatique est un défi, ce qui creuse le fossé entre les villes et les campagnes.

Le programme d’« enseignement bénévole à distance », auquel participe He Jialuo, pourrait changer la donne. Depuis quelques années, le gouvernement et les entreprises tirent parti des outils numériques pour fournir un enseignement de qualité dans les régions éloignées. Dans son Plan d’action pour une école connectée 2.0, le ministère de l’Éducation se donne pour objectif de mettre en place un « système d’éducation continue, personnalisée, intelligente, dématérialisée et en réseau ».

Des entreprises ont lancé des initiatives d’intérêt public qui s’appuient sur le numérique pour améliorer l’offre éducative dans les campagnes. Le programme d’enseignement bénévole à distance, mis au point par l’entreprise Tencent, est l’une de ces initiatives. À ce jour, le projet a recruté plus de 10 000 personnes pour donner des cours en ligne dans un millier d’écoles rurales.

L’école élémentaire de Zuoluo à Honghe, dans la province du Yunnan, est également située dans l’ouest rural du pays. Avec 151 élèves et seulement dix enseignants pour sept classes, l’école manque de moyens pédagogiques. La préfecture de Honghe, où se trouve l’établissement, est cernée de montagnes, de plateaux et bassins calcaires, et 2,41 millions de ses habitants appartiennent à des minorités ethniques.

Jiyue Yan, qui travaille au laboratoire éducatif de Tencent, explique que les enfants de la région ont une connaissance lacunaire du monde extérieur. « Ils vivent dans un environnement où l’information fait défaut, assure-t-il. La plupart d’entre eux rêvent d’aller travailler ailleurs. » Li Xiufang, qui enseigne à l’école élémentaire de Zuoluo, se rappelle par exemple que les élèves ne savaient nommer que Pékin parmi 691 métropoles chinoises.

Si le personnel enseignant manque dans les régions rurales, dans les grandes villes au contraire les volontaires ne manquent pas. Mais les longues distances ou les contraintes d’emploi du temps ne leur permettent pas d’enseigner sur place. Le programme d’enseignement bénévole à distance a pour objectif de recruter des étudiants dans les universités chinoises et des bénévoles expérimentés. Après une formation sanctionnée par une évaluation, ils rejoignent les rangs des volontaires.

Le projet dispose aussi d’une plateforme numérique qui permet de planifier les leçons et de gérer l’organisation pédagogique et administrative. Des cours virtuels de qualité sont ainsi proposés simultanément à des milliers d’écoles rurales.

Selon Li Xiufang, ce programme permet de soulager les enseignants et d’améliorer l’organisation. Cette initiative a aussi le mérite d’élargir l’horizon des élèves. Certains d’entre eux ont désormais envie de devenir architectes, programmeurs, astronautes ou scientifiques suite aux cours dispensés par les enseignants bénévoles venus de tous les milieux et de tout le pays. Par ailleurs, les données collectées par Feng Xiaoying, de l’École des techniques pédagogiques hébergée par l’Université normale de Pékin, montrent une nette amélioration des connaissances et des raisonnements chez les enfants bénéficiant de ce programme.

Si la dématérialisation pédagogique peut contribuer à l’égalité des chances dans les régions rurales de Chine, le déploiement du numérique est parfois un défi pour le personnel enseignant dans les campagnes. « Dans les zones rurales, l’équipement numérique est souvent sous-utilisé », souligne Feng Xiaoying, qui ajoute que de nombreux professeurs des écoles rurales ne se servent des écrans que comme projecteurs pour leurs présentations.

Les pouvoirs publics et les entreprises ont pris en compte ce phénomène. Ainsi, l’« assistant pédagogique intelligent », conçu par l’entreprise chinoise de cours en ligne Onion Academy, explore des « méthodes pédagogiques et éducatives qui associent humain et machine », dans le but d’enrichir les cours et d’aider les enseignants à acquérir de nouvelles compétences. Autre exemple : l’Institut de recherche et développement sur les fondamentaux éducatifs de Kunming (province du Yunnan), dans le district de Wuhua, a posté sur une plateforme fondée sur l’IA plus de 500 000 exemples de cours et de supports de formation pour les enseignants, accessibles à toutes les écoles du district.

Feng Xiaoying pense que les défis peuvent aussi être relevés grâce à une coopération entre les professeurs à distance et ceux qui sont sur place dans le cadre de l’enseignement bénévole à distance. Ce modèle présente l’avantage pour les enseignants locaux de se familiariser avec les outils technologiques et d’explorer de nouvelles façons d’enseigner. De plus, avec l’aide de l’intelligence artificielle, les interactions et les effets des exposés dans une classe peuvent être plus facilement analysés, ce qui facilite l’évaluation des performances.

« Aujourd’hui, nous devons prendre davantage en compte “l’intelligence numérique”. Avant, face aux évolutions technologiques rapides, nous devions nous faire aider de spécialistes pour évaluer l’apprentissage des élèves », explique Feng Xiaoying, qui ajoute que désormais les outils numériques sont assez perfectionnés pour exécuter ces tâches. « Grâce au “big data” et aux IA, les technologies dématérialisées font non seulement évoluer les modèles d’enseignement, mais aussi le concept même des politiques scolaires. »