Idée

Recherche : « Cette épidémie sera un détonateur »

Nathalie Strub-Wourgaft est l’une des initiatrices de la Coalition pour la recherche clinique sur le Covid-19 lancée en avril par des institutions scientifiques, médecins, bailleurs de fonds et décideurs politiques de près de 30 pays pour promouvoir la recherche dans les pays à faibles revenus. Elle plaide en faveur d’une recherche spécifique adaptée aux pays à faibles revenus.

Propos recueillis par Agnès Bardon

UNESCO

Qu’est-ce qui a motivé la création de la Coalition pour la recherche clinique sur le Covid-19 ?

À la mi-mars, la recherche clinique sur le coronavirus était déjà très active mais elle était concentrée dans les pays riches où se trouvaient également la majorité des personnes infectées. Nous avons été un certain nombre à nous inquiéter de voir qu’aucun essai clinique n’était prévu dans les pays du Sud, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Les cas y étaient encore peu nombreux mais les projections prévoyaient une montée en puissance de l’épidémie, notamment en Afrique. Il y avait un déséquilibre manifeste entre le Nord et le Sud en matière de recherche. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé la Coalition. Nous avions encore en tête ce qui s’est produit au moment de la crise sanitaire survenue avec le virus Ebola. Une multitude de projets de recherche avait alors vu le jour mais sans coordination et sans partage de l’information entre ces différents projets. Il fallait éviter de reproduire ces erreurs.

Le Covid-19 étant une maladie nouvelle, tout était à faire : il fallait inventer de nouveaux protocoles, décrire les prélèvements, établir les tableaux cliniques. La recherche s’est développée en parallèle de l’épidémiologie. Il fallait aller très vite mais il fallait aussi éviter la duplication pour apporter rapidement des réponses à des questions fondamentales : comment éviter la mort, comment éviter l’hospitalisation, comment se protéger, qui étaient les groupes à risque ? Or pour avancer sur ces problématiques, il faut une forte puissance d'analyse, ce qui suppose de regrouper les informations et les données.

Pourquoi est-il nécessaire de développer une recherche spécifique dans les pays à faibles ressources ?

Les propositions thérapeutiques qui pourraient être développées dans le Nord ne sont pas applicables telles quelles dans le Sud, ne serait-ce que parce que les comorbidités ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre. En Afrique par exemple, la malaria, la tuberculose ou le VIH sont très répandus, ce qui n’est pas le cas en Europe. Par ailleurs, les systèmes de santé sont différents. Dans les pays industrialisés, les hôpitaux ont eu du mal à faire face à l’afflux de patients atteints de formes sévères de la maladie. Alors que dire de ceux qui ne sont pas équipés de respirateurs artificiels ? Concernant les traitements, les molécules qui présentent aujourd’hui certains résultats prometteurs sont des molécules injectables qui nécessitent par conséquent un personnel hospitalier formé. Si ce personnel n’est pas disponible, il faut trouver d’autres solutions thérapeutiques. Par ailleurs, on peut se demander si le virus est le même. Il semblerait qu’il présente des variantes géographiques. Enfin, les problématiques abordées par les sciences sociales sont également dépendantes du contexte régional : le confinement n’est pas le même à Delhi que dans une région rurale en France. L’impact de ce confinement, l’acceptabilité par la population varient selon les régions. Par conséquent, en matière de recherche, la notion de contexte est essentielle. On ne peut pas conduire une recherche scientifique dans les pays industrialisés et l’appliquer partout ailleurs. Les travaux de recherche doivent être guidés par les priorités des pays.

Une crise sanitaire d’une telle ampleur peut-elle faire prendre conscience de la nécessité de fédérer les efforts en matière de recherche ?

Absolument. Il faut fédérer les efforts en matière d’identification des traitements, sur les diagnostics. Il est nécessaire que les grands donateurs se mettent d’accord sur des priorités, c’est absolument essentiel dans la riposte. Nous vivons un moment de l’histoire où nous nous trouvons tous concernés par un problème de santé globale. Il s’agit d’une situation totalement inédite. Même la crise liée au virus Ebola a finalement été considérée comme un problème de l’Afrique. Ce nouveau virus ne laisse pas d’autre choix que de travailler ensemble. Le fait que l’Organisation mondiale de la santé ait nommé son premier essai clinique Solidarity n’est pas anodin.

Assiste-t-on aux prémisses d’une meilleure gouvernance des efforts de recherche ?

Il est encore un peu tôt pour le dire. La volonté existe et on constate une meilleure collaboration des milieux de la recherche que par le passé. On ne peut pas encore parler de meilleure gouvernance mais on s’en rapproche. Dans le même temps, près d’un millier d’essais cliniques ont été lancés sur le Covid, ce qui signifie qu’à l’échelle internationale il n’existe pas de réelle concertation. Cette crise sanitaire constituera un point de bascule bien qu’il soit difficile encore d’en mesurer l’impact. Nous sommes en train de construire une nouvelle façon de travailler mais il reste beaucoup à faire. L’un des acquis, c’est qu’aujourd’hui on s’efforce d’intégrer la problématique de l’accès aux projets de recherche. Au DNDi par exemple, nous travaillons actuellement à un essai clinique. On regarde les molécules qui vont pouvoir être mises à disposition des populations et être accessibles à une large échelle. Cela semble évident mais ça n’a pas toujours été le cas.

Peut-on parler de rupture à propos de cette crise sanitaire ?

Il y aura un avant et un après. Comment en serait-il autrement alors que les contaminations se comptent en millions, les morts en centaines de milliers ? Si ce n’est pas le cas, c’est que nous sommes dans le déni de ce que nous venons de vivre. On a perdu du temps dans la recherche sur cette maladie mais moins que par le passé. Ebola a été un tournant. Le Covid sera un détonateur. Cette crise est indéniablement une leçon. Depuis plusieurs années, certains essayaient de tirer la sonnette d’alarme, à l’image de Bill Gates qui, il y a plusieurs années déjà, avait mis en garde contre la survenue d'une pandémie. Certains avaient proposé que les pays membres de l’OMS consacrent 0,1 % de leur budget à la recherche, selon des priorités définies par les impératifs de recherche du moment. Ces voix-là doivent maintenant être entendues.

Nathalie Strub-Wourgaft

Directrice de l’unité des maladies tropicales négligées du Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDi), une organisation de recherche indépendante basée à Genève (Suisse).

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