Idée

Les populations autochtones à l’épreuve de la crise

La crise sanitaire qui a frappé le monde a mis en lumière la capacité de résilience de certaines communautés autochtones. Elle a surtout révélé la fragilité de ces populations que la pauvreté, la malnutrition et un faible accès aux soins rendent particulièrement vulnérables aux maladies infectieuses.

Par Minnie Degawan

Depuis toujours, les populations autochtones ont su s’isoler du reste du monde lorsque les circonstances l’exigeaient. Aux Philippines par exemple, dans la cordillère, une telle pratique – dénommée ubaya ou tengaw – est observée à des moments précis du cycle agricole pour permettre à la terre et aux individus de se reposer.

Personne n’est autorisé à entrer ou à sortir de la communauté, y compris ses membres se trouvant à l’extérieur lorsque le confinement a été annoncé. Une botte de feuilles nouées est placée en différents points d’entrée et de sortie pour signifier que la communauté est en ubaya. Cette pratique est prise très au sérieux par les membres de la communauté et les personnes des environs – violer l’ubaya revient à appeler le désastre sur toute la communauté.

Les rituels qui accompagnent l’ubaya constituent un élément important de la riposte de la communauté. Ils ne sont pas censés inspirer la peur ou convoquer le mal, mais servent à renforcer le sens de la communauté, ce que les anciens demandent pour la protection de tous, y compris de la nature.

Des rituels similaires – qui soulignent la nécessité d’atteindre un équilibre entre le monde spirituel et le monde physique – sont effectués par les anciens de différentes communautés autochtones aux Philippines, en Indonésie, en Malaisie et en Thaïlande pour protéger les villages. Pendant ces confinements, les membres de la communauté s’occupent des personnes dans le besoin et leur apportent leur aide, partagent la nourriture, notamment les patates douces séchées stockées pour les temps difficiles.

Pauvreté et malnutrition

Ces pratiques traditionnelles ont aidé les populations autochtones à faire face aux contraintes du confinement imposées par l’épidémie du Covid-19 et à organiser leur survie. « Leurs bonnes pratiques en matière de soins et de connaissances traditionnelles, telles que le confinement des communautés pour prévenir la propagation des maladies, ainsi que l’isolement volontaire, sont aujourd’hui suivies dans le monde entier », a déclaré Anne Nuorgam, présidente de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones (UNPFII).

Mais la crise sanitaire a aussi révélé avec une acuité nouvelle la fragilité de ces communautés. Les populations autochtones – qui souffrent d’un manque d’équipement en soins de santé et d’un accès insuffisant aux services de base, aux équipements sanitaires et aux principales mesures préventives, notamment l’eau potable, le savon et les désinfectants – sont touchées par une marginalisation socio-économique qui les expose à un risque élevé en cas d’urgence sanitaire.

Leur lutte continue contre la déforestation, le changement climatique et la disparition des moyens de subsistance traditionnels les rend en effet particulièrement vulnérables aux nouvelles maladies infectieuses. La pauvreté, la malnutrition et le taux élevé de problèmes de santé préexistants ont aggravé les risques encourus par ces populations – dont beaucoup vivent dans des maisons multigénérationnelles, avec leurs aînés.

Un mode de vie à l’épreuve de la crise

La pandémie a mis en lumière les multiples problèmes auxquels sont confrontées les populations autochtones. Dans le nord de la Thaïlande, par exemple, des incendies de forêt ont ajouté aux pressions sur la sécurité alimentaire et menacé le bien-être des personnes. Les Nagas, peuple du nord-est de l’Inde, ont été victimes de discriminations et de rumeurs infondées sur le virus. Les étudiants nagas ont été expulsés de leur logement et soumis à des violences. Les Dumagats du sud de Luçon, aux Philippines, ont fait face à des pénuries alimentaires. Des événements similaires se déroulent en Équateur, où des exploitants ont continué de traverser les territoires indigènes pour extraire du pétrole.

Par ailleurs, la crise sanitaire a mis à l’épreuve le mode de vie des populations autochtones. De nombreuses pratiques et traditions culturelles, qui prévoient des rassemblements et des processions pour des événements tels que les récoltes ou les cérémonies de passage à l’âge adulte, ont été mises entre parenthèses pour la sécurité des anciens et des plus vulnérables.

Les efforts des gouvernements pour répondre aux besoins particuliers des communautés ont été souvent sommaires et n’ont pas pris en compte les conséquences à long terme sur les moyens de subsistance et la survie des populations autochtones. L’une des leçons de cette crise est qu’une attention particulière devra être portée à l’avenir à la situation spécifique de ces populations. Il faudra veiller par exemple à ce que des informations sanitaires fiables et appropriées soient fournies dans les langues autochtones afin de protéger les membres les plus fragiles des communautés. Plus largement, il faudra lutter sans relâche contre les discriminations visant les communautés autochtones, qui en temps de crise ont tendance à s’accentuer, et veiller à la préservation de leurs modes de vie. Il y va de l’avenir même de leur culture. « Les aînés autochtones sont une priorité pour nos communautés, car ils sont les gardiens de notre histoire, de nos traditions et de notre culture », a ajouté la présidente de l’UNPFII qui a plaidé en faveur d’un droit à l’autodétermination des populations autochtones en situation d’isolement volontaire et demandé « que leur décision d’être isolées soit respectée ».

Les droits des communautés autochtones doivent être au centre de toute intervention ou de tout plan. Ces communautés ont démontré avec force que lorsqu’elles mettent en pratique leurs connaissances traditionnelles – et lorsqu’elles ont le plein contrôle de leurs ressources et exercent librement leur droit à l’autodétermination –, elles sont plus à même de se protéger, ainsi que la nature et leur environnement. Cela est également vrai face aux nouveaux défis que sont les crises sanitaires.

Minnie Degawan

Directrice du programme Peuples indigènes et traditionnels de Conservation International aux États-Unis.

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