Idée

La jeunesse africaine sous influenceurs

Inconnu il y a encore quelques années, le métier d’influenceur connaît un succès grandissant sur le continent. À l’affût d’une clientèle jeune et connectée, les entreprises font désormais les yeux doux aux plus populaires d’entre eux.

Kesia Ebale

Journaliste à Kinshasa, République démocratique du Congo.

Il y a un an, Elsa Majimbo menait la vie anonyme et tranquille d’une étudiante en journalisme à Nairobi. Quand le Kenya a basculé dans le confinement, comme la moitié de la planète prise de court par l’épidémie de Covid-19, elle a commencé à poster sur son compte Instagram des sketches, histoire de briser le cours monotone de sa vie recluse. Avec ses vidéos mal cadrées, ponctuées d’éclats de rire et de poignées de chips avalées entre deux gags, la jeune fille de 18 ans a vu son audience grimper en flèche.

Partagés des dizaines de milliers de fois, ses messages ont même attiré l’attention de la pop-star Rihanna. Un sacré coup de pub pour Elsa Majimbo, qui revendique aujourd’hui 2,2 millions d’abonnés et a conclu récemment un partenariat avec le créateur de mode italien Valentino pour promouvoir sa marque.

En quelques mois, Elsa est devenue en Afrique de l’Est ce qu’on appelle désormais une « influenceuse », rejoignant le cortège des « créateurs de contenus » qui monétisent leur notoriété acquise sur Instagram, YouTube ou Twitter. La mode, le style de vie, la musique, l’humour, la cuisine ou la beauté sont les sujets les plus populaires, et donc les plus rentables. Sur le continent le plus jeune du monde, où le marché des smartphones a explosé au cours des dernières années, cette nouvelle activité séduit un nombre croissant de jeunes attirés par les feux de la rampe numérique et la promesse, pour une poignée d’entre eux, de revenus non négligeables. Les « méga-influenceurs », ceux qui rassemblent sur leurs comptes plus d’un million d’abonnés, restent en effet une infime minorité.

Profession en mutation

Apparue depuis peu, la « profession » a évolué par rapport à ses débuts. Si les stars des réseaux sociaux ont souvent porté au départ des revendications sociétales, elles font désormais volontiers les yeux doux aux entreprises locales ou multinationales (fournisseurs d’accès, chaînes d’hôtels, compagnies aériennes…). « Les influenceurs nés sur Twitter dans les années 2010 ont commencé par revendiquer un Internet pour tous, en dénonçant la fracture numérique. En Côte d’Ivoire, une personne comme Edith Brou, l’une des personnalités les plus suivies du pays aujourd’hui, a par exemple commencé par relayer des informations sur la crise politique de 2010 », analyse Kahi Lumumba, PDG fondateur de l’agence de marketing numérique Totem Experience, basée à Abidjan.

La pratique consistant à faire des plateformes numériques une tribune pour y défendre une cause n’a pas disparu. Elle est même encouragée par certaines entreprises privées mobilisées dans la lutte contre les inégalités, les discriminations ou le réchauffement climatique. « La Compagnie ivoirienne d’électricité récompense chaque année les meilleurs élèves du pays. Des influenceurs sont sollicités pour relayer l’initiative. Nous avons aussi travaillé avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour sensibiliser les jeunes aux sujets liés à la migration illégale », poursuit Kahi Lumumba.

Mais les nouvelles stars des réseaux sociaux sont surtout courtisées par les entreprises désireuses de séduire un public urbain, jeune et connecté. L’agence Totem Experience connecte des marques qui veulent populariser leurs nouveaux services, avec des influenceurs suivis par une communauté fidèle. Exemple parmi d’autres : une quinzaine d’entre eux ont récemment posté sur leur compte personnel des vidéos mettant en scène des livreurs pour vanter une application de livraison à domicile qui a vu le jour à Abidjan. « Pour les entreprises, c’est une manière d’augmenter les ventes et de renforcer la proximité avec leurs clients », résume le jeune entrepreneur dont la société devrait prochainement passer de 30 à 50 collaborateurs.

Une prime en fonction des clics

Ces nouvelles étoiles de la Toile sont généralement payées à la publication de photos ou de vidéos. À cette rétribution peut s’ajouter une prime en fonction du nombre de clics. Quand ils travaillent dans la mode, les voyages ou le tourisme, ils peuvent aussi bénéficier d’avantages en nature sous forme de vêtements ou des séjours gratuits dans des hôtels de luxe, qu’ils doivent évidemment évoquer avec leur communauté d’abonnés sur les réseaux sociaux.

Difficile de savoir exactement combien réussissent à en vivre en Afrique, et quelles sont les limites du métier. Très peu en réalité. La plupart d’entre eux ont une activité annexe. Dans le milieu très restreint des influenceurs vedettes, ce sont les chanteurs, les humoristes et les spécialistes de la mode qui tiennent le haut du pavé. Le site StarNgage recense les plus gros comptes Instagram par pays, dans le monde entier. Au Nigeria, le pays le plus peuplé du continent, c’est la pop star Yemi Alade qui arrive en tête avec 12,3 millions d’abonnés. En Afrique de l’Ouest francophone, l’une des stars de la « web-influence » s’appelle « Dudu fait des vidéos ». Connu pour ses mises en scène de la vie quotidienne à Dakar, Dudu, de son vrai nom Mouhamadou Ndiaye, a conclu un partenariat avec un opérateur de téléphonie mobile très présent en Afrique, qui partage ses vidéos.

À l’autre bout du continent, la Sud-Africaine Kefilwe Mabote, suivie par 1,1 million d’abonnés sur Instagram, s’est quant à elle taillé une solide réputation dans le domaine de la mode et du luxe. Redoutable femme d’affaires, elle a noué des partenariats avec des marques internationales prestigieuses et a même publié un livre l’année dernière, Influencer De Luxe, dans lequel elle raconte sa success-story depuis ses débuts à Soweto jusqu’à sa consécration à Milan, en Italie.

Afrique plurielle

Si les mêmes tendances s’observent sur l’ensemble du continent, notamment en termes de popularité des sujets abordés, des disparités importantes demeurent d’un pays à l’autre, voire d’une région de l’Afrique à l’autre. Toutes ne font pas encore jeu égal en termes d’infrastructure et de qualité du réseau. Le « business » des influenceurs rappelle en effet cette vérité que les spécialistes du marketing ignorent trop souvent : l’Afrique n’est pas une, mais plurielle. Ainsi, l’Afrique anglophone, tirée par les poids lourds que sont le Nigeria et l’Afrique du Sud, distance pour l’instant l’Afrique francophone. L’Afrique de l’Ouest, plus connectée, dispose de son côté d’une longueur d’avance sur l’Afrique centrale, où seulement 22 % de la population dispose d’un accès à Internet, contre 36 % en Afrique de l’Ouest. Mais aux yeux des connaisseurs, la situation devrait s’équilibrer dans les années à venir. « Une fois que l’Afrique centrale sera dotée de l’infrastructure qui lui fait défaut, ce sera un raz-de-marée. Dans l’univers créatif en général, le Congo fait la différence », affirme Kahi Lumumba. Le petit-fils du héros de l’indépendance congolaise Patrice Lumumba garde un œil sur Kinshasa, la plus grande ville d’Afrique francophone, brouillonne et bouillonnante. Il espère que les chanteurs Innoss’B, Gaz Mawete et Moise Mbiye, dont les comptes Instagram sont aujourd’hui les plus populaires en République démocratique du Congo, partageront bientôt l’affiche avec de nouvelles stars des réseaux, dopant du même coup le marché prometteur des influenceurs dans ce pays de plus de 80 millions d’habitants.

20 ans, le plus bel âge vraiment ?
UNESCO
avril-juin 2021
UNESCO
0000376726
订阅《信使》

Abonnez-vous