Idée

Un outil essentiel à la compréhension du monde

Les mathématiques sont omniprésentes dans nos vies, que ce soit dans nos téléphones, nos cartes de crédit ou encore nos voitures. Modèles mathématiques et algorithmes jouent aujourd’hui un rôle clé dans des domaines aussi variés que les prévisions météorologiques, la gestion des horaires de train ou la circulation des virus. Une étude récente de l’UNESCO, Des maths pour agir, donne une idée de l’étendue de leur application et souligne qu’elles sont cruciales pour relever certains défis tels que la lutte contre la pauvreté, le recul de la biodiversité ou le changement climatique. À condition de recruter suffisamment de mathématiciens et d’enseignants qualifiés.
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par Christiane Rousseau

On entend souvent dire que les mathématiques sont partout. C’est le cas. Un récepteur GPS calcule sa position en utilisant les temps de parcours que les signaux des satellites mettent à lui parvenir. Les communications sécurisées sont chiffrées pour devenir opaques à toute autre personne que le récepteur. Le format JPEG des photos prises par un téléphone est une compression mathématique de l’information contenue dans la photo : sans cette compression astucieuse, les fichiers des photos seraient énormes.

Et comme toute transmission d’information introduit des erreurs, des codes correcteurs sont omniprésents dans tous les réseaux de télécommunications, téléphones portables et télévision compris. Sans eux, les robots téléguidés sur Mars ne pourraient pas exécuter les commandes reçues de la Terre. Cette omniprésence des mathématiques explique que la première Journée internationale des mathématiques en 2020 ait précisément eu pour thème « Les mathématiques sont partout ».

Les mathématiques sont omniprésentes dans la compréhension de notre planète et l’organisation de notre civilisation

Les mathématiques sont en effet omniprésentes dans la compréhension de notre planète et l’organisation de notre civilisation. En 1623 déjà Galilée écrivait : « Le livre de l’univers est écrit en langage mathématique. » Quatre siècles plus tard, les défis environnementaux s’imposent comme une des priorités de l’humanité. Selon les projections des Nations Unies, la population de la planète, qui a atteint huit milliards d’humains en novembre 2022, devrait se stabiliser autour de 11 milliards alors que, dans le même temps, les changements climatiques affectent les rendements agricoles.

Le jour du dépassement de la Terre, qui marque le moment où l’humanité a consommé l’ensemble des ressources que la planète peut générer en un an, se produit de plus en plus tôt. S’il intervenait à la fin du mois de décembre en 1970, il est survenu le 29 juillet en 2021. Les Objectifs de développement durable de l’agenda 2030 des Nations Unies sont la réponse de la communauté internationale à ces défis, et les sciences mathématiques y ont un rôle de premier plan à jouer.

Algorithmes performants

La modélisation du climat consiste à mettre en équation les interactions entre les différents agents climatiques : soleil, atmosphère incluant les gaz à effet de serre, océans, sols, glaciers, systèmes végétaux, etc. La collecte de données est essentielle pour espérer prévoir l’évolution des systèmes climatiques, et cette prévision relève des mathématiques. Simuler ces systèmes et établir les grandes tendances est un tour de force qui requiert une énorme puissance de calcul, des algorithmes toujours plus performants et une utilisation optimale des données. Le travail se fait sur plusieurs fronts : dégager les grandes tendances à long terme, mais aussi mettre en évidence les tendances régionales.

Il est important également de quantifier précisément la part d’incertitude. Des techniques existent pour améliorer la prévision météorologique et anticiper des tendances saisonnières. C'est d’autant plus utile que les changements climatiques augmentent la fréquence et l’amplitude des événements extrêmes.

La prévision des trajectoires des ouragans est un domaine où l’on a fait des progrès spectaculaires : on peut désormais prédire leur trajectoire presque sept jours à l’avance. Une meilleure connaissance des risques permet d’anticiper et de se prémunir contre leurs conséquences dans les décennies à venir. À quelle hauteur doit-on construire une digue ? Doit-on reconstruire ou déménager un quartier suite à une inondation ? À quelle fréquence se produiront les sécheresses menaçant la disponibilité de l’eau ? Comment modifier les villes pour diminuer les impacts des vagues de chaleur ?

Modélisation de la réalité

Ces prévisions reposent sur une modélisation mathématique, c’est-à-dire une simplification drastique de la réalité. Un bon modèle permet de voir le portrait global qui peut être caché par trop de détails. Prenons le cas d’une épidémie. Le modèle le plus simple, appelé modèle SIR, classe les individus en trois compartiments : les susceptibles, les infectés et les retirés (rétablis ou décédés).

Dans ce modèle, la règle de base explique les mouvements entre compartiments d’une journée à la suivante. On peut alors calculer comment évoluent les populations des compartiments sur une longue période.

Ce modèle, tout simpliste qu’il est, révèle les grandes lois d’une épidémie : la croissance exponentielle, le pic de l’épidémie, le phénomène d’immunité de groupe par lequel l’épidémie s’éteint avant que toute la population n’ait été infectée, l’aplatissement de la courbe des cas cumulés (courbe orange), le nombre de reproduction de base qui mesure le nombre moyen d’infections générées par une infection primaire et caractérise la contagiosité d’une maladie.

Ces grandes lois informent les décideurs de l’évolution de l’épidémie. Le modèle peut ensuite être amélioré pour des prévisions plus précises. Par exemple, la règle de base régissant les mouvements d’une journée à l’autre peut être ajustée pour tenir compte des mesures sanitaires ou de l’apparition de nouveaux variants plus contagieux. Les compartiments peuvent aussi être divisés en sous-compartiments (tranches d’âge, classes sociales, genre, rétablis et décédés), etc.

Planifier les horaires de train

Un autre champ d’action des mathématiques est celui de l’optimisation. Comment organiser le transport et la distribution du courrier ou ceux des marchandises ? Comment planifier les horaires de train pour faciliter les correspondances, minimiser le nombre de rames et optimiser les horaires de travail du personnel ? La question se pose aussi pour les transports publics urbains et les compagnies d’aviation. Ces problèmes, qui font partie de ce qu’on appelle la recherche opérationnelle, sont faciles à énoncer, mais le nombre de possibilités est trop vaste pour qu’on puisse trouver une solution optimale par essais et erreurs.

Trouver les meilleures solutions requiert la mise au point d’algorithmes très astucieux et performants. Ces mêmes techniques sont utiles pour la transition écologique, qui nécessite de passer d’une surconsommation des ressources à une optimisation de leur utilisation. Comment économiser l’énergie ou l’eau, diminuer le gaspillage alimentaire, tirer le meilleur parti de ressources limitées en les utilisant de manière équitable ? Ce sont des domaines dans lesquels les mathématiques ont un rôle à jouer.

L’intelligence artificielle est le nouveau chantier des mathématiques

L’intelligence artificielle est le nouveau chantier des mathématiques et des statistiques. Sa percée vient de ce que l’on sait désormais programmer les ordinateurs ou les robots pour leur apprendre à apprendre. Ainsi, un humain peut reconnaître un chat. On apprend à un ordinateur à faire de même. Pour cela, on l'entraîne avec des centaines de milliers d’images et on le corrige lorsqu’il fait des erreurs. L’ordinateur améliore continûment son programme et apprend à reconnaître un chat, y compris dans une position qu’il n’a jamais vue. Dans la reconnaissance d’images ou de sons, les succès de l’intelligence artificielle sont spectaculaires et n’ont rien à envier à l’humain.

Les applications se multiplient. On peut utiliser l’intelligence artificielle pour dresser à faible coût des cartes de la pauvreté, par exemple en utilisant des images satellites du domaine public. Les images diurnes révèlent l’infrastructure construite par l’homme. En combinant avec des images nocturnes, on repère les zones habitées et non éclairées la nuit, un signe lié à la pauvreté. L’intelligence artificielle est aussi utilisée dans des régions semi-arides du nord du Kenya pour sécuriser l’accès à l’eau : l’utilisation des données permet de prévoir les régions où une pénurie d'eau pourrait se produire et de développer des stratégies d'atténuation.

Les mathématiques constituent par conséquent une boîte à outils exceptionnelle dont les applications sont innombrables et très variées. Ce n’est donc pas un hasard si elles sont partout autour de nous.

Christiane Rousseau

Professeure au département de mathématiques et de statistique à l’Université de Montréal (Canada), elle a participé à l’étude de l’UNESCO Des maths pour agir.

Les maths ont la cote
UNESCO
janvier-mars 2023
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