Idée

Au Canada, la nature sur ordonnance

Depuis 2020, les médecins habilités de certaines provinces du pays peuvent prescrire à leurs patients anxieux des promenades en forêt afin de réduire leur stress et augmenter leur qualité de vie.
Forest prescription

Guy Sabourin

Journaliste à Montréal, Canada

Vincent Beaubien a besoin de se rendre régulièrement en forêt. Il va y pique-niquer au coin du feu, dormir ou simplement se promener. Contremaître dans le bâtiment, cet homme de 33 ans qui vit à Delson, dans la banlieue de Montréal, ressent les bienfaits de ce contact avec les arbres après quelques pas dans les bois. « Cela me procure l’apaisement et la sérénité dont j’ai besoin. Ce sont des émotions que j’emporte avec moi. »

« Loin des bruits et des distractions, on prend conscience que l’on fait partie d’un tout », assure de son côté Danièle Allaire, directrice retraitée d’un Centre de la petite enfance qui habite Bromont, à quelque 80 kilomètres à l’est de Montréal. « Même si j’ai du mal à expliquer ce phénomène, vivre au milieu de la forêt me réconforte. »

Au-delà des bienfaits que l’on peut ressentir empiriquement au cours d’une balade dans la nature, les bains de forêt semblent bénéfiques pour notre santé. Au point qu’il est désormais possible au Canada de s’en faire prescrire par son médecin. Lancée pour la première fois en 2020 en Colombie-Britannique, cette expérience pilote a été étendue depuis à d’autres provinces comme l’Ontario, le Manitoba et le Québec. Elle permet aux praticiens de proposer à leurs patients, dans le cadre d’un programme spécifique intitulé Park Prescription, des promenades en forêt. Elle peut également donner accès gratuitement aux parcs fédéraux.

Effet sur le stress

« La littérature scientifique est suffisamment forte pour nous inciter à prescrire », ajoute Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille à Montréal, qui prescrit elle-même des contacts avec la nature à ses patients. Une fréquentation assidue de la forêt – au moins deux heures hebdomadaires – permettrait de réduire significativement le cortisol, l’hormone du stress. Les partisans de cette approche mettent également en avant un effet bénéfique sur des phénomènes tels que la tension artérielle, la fréquence cardiaque, l’humeur ou encore la capacité de concentration chez les enfants.

La fréquentation de la forêt permettrait de réduire significativement le cortisol, l’hormone du stress

L’ordonnance de nature semble particulièrement indiquée chez les personnes souffrant de dépression ou de troubles anxieux. Si elle n’a rien du remède miracle et n’a pas vocation à remplacer un traitement médical, cette thérapie peut être une approche alternative ou complémentaire. « J’en discute d’emblée avec mes patients sujets à l’anxiété ou la dépression, au même titre que je leur parle de psychothérapie, de médicaments, de méditation, d’activité physique », explique Claudel Pétrin-Desrosiers, qui forme aussi des pairs à cette jeune science. « C’est une option supplémentaire. »

Mais pourquoi avoir besoin d’une prescription quand n’importe qui peut aller marcher en forêt ? « Parce que les études démontrent que la prescription écrite est plus forte que le conseil oral, explique la professionnelle de santé. Je le mentionne dans le dossier médical et je questionne la personne lors de la consultation suivante. »

Méditer, sentir, toucher

L’idée de bains de forêt comme alliés de notre bonne santé peut paraître surprenante. Elle n’est pourtant pas nouvelle. Au Japon, la pratique du shinrin-yoku existe depuis le début des années 1980. Plus qu’une thérapie proprement dite, elle s’apparente à une médecine préventive, une hygiène de vie. « Elle prend généralement la forme d’une marche lente, souvent guidée pendant laquelle les participants sont invités à explorer les sons, à méditer, à sentir, à toucher », précise Claudel Pétrin-Desrosiers.

Les forêts nous calment et nous apportent un sentiment de bien-être physique et mental, confirme François Reeves, cardiologue au Centre hospitalier universitaire de Montréal, professeur de clinique à la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Ce spécialiste, qui s’intéresse depuis quinze ans à l’influence des facteurs environnementaux sur la santé cardiovasculaire, assure qu’être en forêt nous ramène à un rythme proche de notre biologie et améliore la qualité de la récupération après un épisode de maladie.

Être en forêt nous ramène à un rythme proche de notre biologie

Pour ceux qui vivent loin de la forêt, la fréquentation d’un parc ou des rives d’un cours d’eau peut être une bonne alternative. Durant trois mois d’arrêt de travail pour un trouble de l’humeur, l’enseignant du secondaire Simon Poutré a trouvé son salut dans de longues promenades quotidiennes dans un grand parc près de chez lui. « Lors de ces marches, je sentais ma respiration se calmer et je revenais dans le moment présent », dit-il.

« C’est après 20 minutes qu’on commence à avoir des bénéfices sur la fréquence cardiaque, le taux sanguin de stress et la tension artérielle, précise Claudel Pétrin-Desrosiers. Le plus grand retour sur investissement se situe autour de deux à trois heures par semaine. »

L’effet des bains de forêt est encore amplifié s’il est combiné à une activité physique, comme marcher ou pédaler. Mais l’exposition passive consistant à regarder les arbres assis sur un banc de parc produit elle aussi des effets positifs. « C’est intéressant pour les personnes ayant des enjeux de mobilité ou la crainte de faire de l’exercice physique », indique Claudel Pétrin-Desrosiers. Mais elle ajoute qu’il est tout de même nécessaire d’avoir une certaine conscience de notre rapport avec la nature pour en tirer les bénéfices.

Et ce qui est bon pour nous l’est aussi pour la forêt. Il est en effet démontré que les personnes qui passent du temps dans la nature sont aussi plus susceptibles de la protéger.

L’appel de la forêt
Le Courrier de l'UNESCO
juillet-septembre 2023
UNESCO
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