Idée

Jens Liljestrand : « J’ai voulu saisir le sentiment de colère face aux incendies »

Dans son livre Et la forêt brûlera sous nos pas, paru en 2021, l’écrivain et journaliste suédois Jens Liljestrand brosse le tableau dystopique d’une Suède dévastée par les mégafeux.
Forest Finns burn

Propos recueillis par Anuliina Savolainen

UNESCO

Dans votre roman Et la forêt brûlera sous nos pas, la Suède est frappée par une catastrophe climatique. Comment l’idée de ce livre est-elle née ?

Ce roman tire son origine des feux de forêt historiques de l’été 2018. Ces feux d’une ampleur inédite, qui ont touché toute la Suède, donnent hélas un avant-goût de ce que nous redoutons tous, à juste titre. C’est pourquoi je me suis lancé l’année suivante dans l’écriture de ce roman dystopique. À l’époque, tout le monde disait que nous n’avions qu’une douzaine d’années pour contenir la catastrophe climatique. Ça a été le point de départ de mon roman : à quoi ressemblerait la vie dans douze ans ? Cela nous projetait autour de 2030, soit une décennie après que j’ai commencé d’écrire. Mais quand j’ai mis le point final, j’ai réalisé que ce n’était plus le futur, on y était déjà. C’était donc devenu un roman contemporain.

Il s’est passé beaucoup de choses pendant les deux ans qu’a duré l’écriture. Des catastrophes climatiques telles que les feux de forêt massifs en Australie, en Californie et dans le nord du Canada, mais aussi, une fois le livre achevé, en France et en Espagne. Mais j’ai surtout puisé mon inspiration dans cet été 2018 en Suède. J’ai été frappé par la stupéfaction des habitants. Et cela malgré le fait que les scientifiques nous avaient mis en garde pendant des décennies contre les effets du changement climatique. J’ai voulu saisir ce sentiment d’incrédulité, de dépit et de colère.

Au milieu des forêts en flammes et du chaos, les personnages continuent de naviguer comme ils peuvent à travers les turbulences de leur vie privée. Que disent les réactions de ces gens ordinaires face à la catastrophe ?

Le roman suit plusieurs personnages, qui ne sont pas tous directement victimes des incendies, mais en subissent les conséquences. Je voulais dépeindre la série très complexe d’émotions que suscite le changement climatique : la frayeur, l’épouvante, l’ahurissement, mais aussi la tristesse. Un événement pareil peut provoquer de la colère, de l’aveuglement ou de l’abattement. Mais il peut aussi inciter à agir, à s’engager. On peut aussi choisir de fermer les yeux.

Je pense que, dans une certaine mesure, nous passons tous par ce genre de réactions. C’est pourquoi chacun des principaux personnages incarne en quelque sorte une de ces émotions. Chez l’un, c’est le choc et l’affolement, le désespoir. Chez l’autre, l’arrogance et le déni. Il y a aussi celui qui est dévasté et s’insurge, et qui pense que quelqu’un doit payer le prix. Et enfin il y a celle qui agit de manière constructive et symbolise la résistance.

Leur illusion de sécurité vole en éclats quand ils constatent que même un pays riche n’échappe pas aux effets du changement climatique.

L’illusion de sécurité vole en éclats quand on constate que même un pays riche n’échappe pas aux effets du changement climatique

Malgré le drame, il y a quelque chose de presque comique dans la déception, la stupeur et la perplexité qui frappent les gens. Mais il est également étonnant de voir à quelle vitesse l’inquiétude retombe. Comme dans le roman : soudain il se met à pleuvoir, les incendies s’éteignent, et on passe à autre chose.

Les romanciers sont de plus en plus nombreux à répondre à cette crise par des « fictions climatiques ». Pensez-vous que la fiction peut être un levier du changement ?

Ce roman n’a pas vocation à réveiller les consciences. Si vous ne croyez toujours pas au changement climatique, la fiction ne vous y aidera pas. Je n’ai pas écrit ce roman pour éduquer ou participer au débat sur le climat, qui doit être scientifique ou politique. Mais il est important que l’on en parle.

C’est le rôle des journalistes de parler de la mort des récifs coralliens et de la fonte des glaciers. Mais pour mettre des mots sur ce que l’on ressent quand on doit annoncer à son enfant qu’il ne verra plus jamais un récif corallien, il faut d’autres outils. C’est là que l’artiste entre en jeu. Pour aider les populations à mettre des mots ou des images sur ce qu’elles vivent et ressentent. L’art peut influencer les mentalités et nous aider à aller plus au fond des choses. À travers ce roman, j’ai voulu contribuer à faire naître une culture qui aide les gens à faire face au changement climatique.

Je suis surpris qu’il n’y ait pas davantage de fictions climatiques. Nous faisons face au pire défi auquel l’humanité ait jamais été confrontée, et cette vision d’apocalypse ne trouve aucun écho dans la culture. Je pense qu’il y a là une mission pour toutes sortes d’artistes, qui doivent essayer de saisir ce sentiment de peur, de panique, de désespoir, de tristesse, de colère, d’attente et de nostalgie.

Nous faisons face au pire défi auquel l’humanité ait jamais été confrontée, et cette vision d’apocalypse ne trouve aucun écho dans la culture

Depuis la parution du roman, j’ai été invité à prendre la parole dans des écoles où j’ai rencontré des jeunes très stressés par la situation climatique. Ce que je m’efforce de leur dire, c’est qu’ils vivront très probablement dans un monde aux immenses défis, mais qu’ils auront aussi d’innombrables possibilités d’innover et de vivre d’une manière plus respectueuse des écosystèmes. Les temps seront difficiles, mais je pense qu’il y a aussi de nombreuses raisons d’espérer.

Quand j’étais gosse, il n’y avait plus de loups en Suède. Ils sont maintenant de retour. Dans le Sud où j’ai grandi, on ne trouvait plus qu’un seul aigle sur une île, et on en voit maintenant partout. Les gens ont également compris l’importance vitale des espaces verts : il y a de gros efforts pour verdir les centres-villes. On ne peut donc pas dire qu’il ne se passe rien. Il nous est possible de vivre sur une planète où l’homme travaille à reconstruire les écosystèmes. Ne baissons pas les bras.

L’appel de la forêt
Le Courrier de l'UNESCO
juillet-septembre 2023
UNESCO
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