Idée

Dan Meyer : « Les mathématiques souffrent d’un déficit d’image auprès des élèves »

Abstraites, trop ardues, réservées à une poignée d’élus, les maths ? Expert en pédagogie, Dan Meyer conteste cette idée reçue. Il met en cause les méthodes traditionnelles d’enseignement de cette discipline et invite à adopter des programmes qui encouragent les élèves à partager leurs idées et leurs connaissances au lieu d’exiger d’eux un savoir purement académique.
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D’où vous vient votre intérêt pour les mathématiques ?

J’ai toujours aimé les maths et l’école, même si j’ai eu moi aussi mon lot de déceptions et de découragements. C’est d’ailleurs grâce à ces expériences négatives que je peux comprendre ceux qui rencontrent des difficultés. Mais j’ai aussi eu la chance d’avoir des enseignants exceptionnels qui montraient de l’intérêt pour les élèves et ont su valoriser mes idées, alors qu’elles n’avaient rien de nouveau.

J’ai aussi vécu des moments très forts en utilisant les maths pour trouver une réponse à des questions que je me posais. Et je ne l’ai pas fait seulement pour avoir de bons résultats scolaires ou obtenir un diplôme. Par exemple, au supermarché, j’étais curieux de savoir quelle était la caisse la plus rapide : la file express qui compte de nombreuses personnes avec peu d’articles ? Ou celle qui comporte seulement quelques personnes poussant des chariots remplis ? C’est passionnant de s’emparer d’une question de notre quotidien et de faire appel aux maths pour essayer d’y répondre.

Pourquoi y a-t-il tant d’élèves « traumatisés » par cette discipline ?

Sur Google, la question « Pourquoi suis-je nul en maths ? » affiche un nombre de recherches bien supérieur à la même question appliquée à des matières comme les langues, les sciences ou l’histoire. Les mathématiques souffrent clairement d’un déficit d’image auprès des élèves. C’est un problème de culture et d’environnement familial, mais les enseignants y sont aussi pour beaucoup.

Les élèves en viennent à considérer les maths comme une discipline hors-sol qui les oblige à renoncer à leur vision d’eux-mêmes et du monde

Dans les autres matières, on s’efforce généralement de déterminer ce que les élèves savent déjà. Mais en maths, on part généralement du principe qu’ils arrivent avec très peu de connaissances. Réussir en maths exige souvent d’eux qu’ils fassent abstraction de tout ce qu’ils savent sur les nombres, les formes, les modèles, au profit d’une série de connaissances académiques. On ne devrait pas leur soumettre des problèmes où il est question de courir dix kilomètres à un rythme constant, alors qu’ils savent pertinemment que cela n’existe pas dans la vraie vie. C’est pourtant ce que l’on fait tout le temps ! De fait, les élèves en viennent à considérer les maths comme une discipline hors-sol qui les oblige à renoncer à leur vision d’eux-mêmes et du monde.

Par ailleurs, on a tendance à considérer que le monde se divise entre les matheux et ceux qui sont nuls en maths. Ce n’est pas le cas dans les sciences humaines, où la vérité découle généralement d’un consensus. Cela permet aux non-spécialistes de s’exprimer autant que les experts. En cours de maths, vous devez plaire à des historiens disparus depuis longtemps qui ont créé le canon mathématique. Cela peut être traumatisant ! Je ne suis pas certain de vouloir, tous les jours pendant douze ans de mon existence, assister à un cours où je dois m’efforcer de faire plaisir à des morts.

Comment faut-il enseigner les mathématiques pour les rendre attractives aux yeux des élèves ?

Nous devons nous efforcer d’offrir aux élèves des expériences qui éveillent leurs sens et font remonter à la surface les connaissances qu’ils possèdent. Il est important que les élèves s’intéressent aux activités qu’on leur propose et qu’ils en perçoivent l’utilité. Ils sortent trop souvent du cours en se sentant moins bien dans leur peau, moins capables et moins utiles qu’ils ne l’étaient avant de commencer leurs études de maths. C’est une honte ! Nous devrions consacrer toute notre énergie à la manière d’enseigner les mathématiques.

En ce moment, je passe une grande partie de mon temps à essayer de comprendre comment nous apprécions la valeur incroyable des vies humaines auxquelles nous autres, enseignants, participons pendant un court instant. Si les élèves ne se sentent pas aimés par leur environnement, cela devrait nous inciter à envisager des changements.

Comment peut-on inciter les enseignants à changer leur pratique ?

Les enseignants sont absolument indispensables. Bien que je sois très critique vis-à-vis de leur approche pédagogique, j’ai aussi un immense respect pour leur travail. Ce que les enseignants peuvent faire mieux que la technologie, c’est d’offrir aux élèves des occasions de partager le contenu de leur cerveau, de partager leurs connaissances sur les maths. Dessinez par exemple au tableau plusieurs formes similaires, mais différentes, et demandez-leur : « Qu’y a-t-il de semblable ou de différent dans ces formes ? Et quel est l’intrus ? » L’enseignant crée un climat de confiance et permet aux élèves d’exprimer leurs idées. À partir de là, ils peuvent apprendre quelque chose et même prendre plaisir à l’apprendre.

Le métier d’enseignant est extraordinairement difficile, il exige d’être tout à la fois sociologue, psychologue et pleinement formé à sa discipline

Quand j’étais enseignant, je passais beaucoup de temps à modifier et élaborer des cours. Dans ce domaine, les enseignants ont besoin d’être particulièrement accompagnés. Ce que la plupart des programmes sur le marché disent aux élèves, c’est : « Nous nous fichons bien de ce que vous savez. Voici ce que nous, nous savons et que nous allons vous imposer ! »  Nous devons proposer aux professeurs d’autres manières d’enseigner. Il faut les aider à savoir comment écouter efficacement, comment relier différentes idées entre elles. La tâche est immense. Quiconque a enseigné connaît la complexité de ce travail, qui exige d’être tout à la fois sociologue, psychologue et pleinement formé à sa discipline. C’est extraordinairement difficile. Et cela exige de nombreux soutiens.

À quoi devrait ressembler le manuel de maths du futur ?

Le manuel du futur doit accorder une aussi large place au développement des idées des élèves qu’aux théories du passé, qui sont également importantes. Il doit se demander à chaque page : « Pourquoi a-t-on inventé ces mathématiques nouvelles? Quel problème sont-elles censées résoudre ? Pourquoi les théories antérieures se sont-elles révélées inopérantes ? » Le manuel du futur doit nous dire pourquoi nous avons besoin de ces mathématiques-là et aider les élèves à examiner ce besoin. On doit se soucier des besoins réels des êtres humains durant leur processus d’apprentissage.

Dan Meyer a d’abord enseigné les maths dans l’enseignement secondaire, avant d’obtenir un doctorat en pédagogie des mathématiques à l’Université Stanford (États-Unis). Il est actuellement directeur de la recherche chez Desmos, une société qui développe des outils et des programmes mathématiques gratuits pour les éducateurs du monde entier.

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janvier-mars 2023
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