Histoires de migrations

Agnès Bardon

UNESCO

Pour la première fois depuis longtemps, la croissance du nombre de migrants internationaux s'est ralentie en 2020. Ce léger tassement s'explique avant tout par les restrictions de mobilité liées à la pandémie de Covid-19. Car depuis plusieurs décennies, les flux migratoires ne cessent de se densifier. En 2020, 281 millions de personnes vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance. En 2000, ils étaient 173 millions. En 1970, 84 millions.

Hier comme aujourd’hui, on part pour fuir la pauvreté, pour bâtir une vie qu'on espère meilleure. On quitte les siens pour se donner un avenir. Les principaux couloirs de migrations qui se sont formés au fil du temps relient aujourd'hui encore les pays en développement aux pays industrialisés ; États-Unis, Europe, Fédération de Russie ou encore Arabie saoudite.

On part aussi de plus en plus pour échapper aux conflits et aux violences. En 2020, les réfugiés et les demandeurs d'asile représentaient 12 % du nombre total de migrants, contre 9,5 % deux décennies plus tôt. En vingt ans, entre 2000 et 2020, le nombre des personnes contraintes à l'exil par la guerre, les crises ou les persécutions a doublé, passant de 17 à 34 millions d'après le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies. Les effets du changement climatique jettent aussi sur les routes un nombre croissant de personnes fuyant le manque d'eau, l'appauvrissement des terres ou l'érosion des côtes.

Face à cette situation, les Nations Unies ont adopté en 2018 le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Son objectif : améliorer le sort des migrants à l’échelle internationale et encourager la coopération dans le domaine migratoire. Cet accord souligne aussi que les États doivent porter secours aux migrants empruntant des itinéraires dangereux.

Car l'exploitation, le racket, les violences sont le lot de beaucoup de migrants, en particulier illégaux, à la merci des trafiquants d'êtres humains. Certains paient ce voyage de leur vie. Au cours du seul premier trimestre de 2021, 1 146 personnes ont péri en mer en tentant de traverser la Méditerranée.

Dans le pays d'accueil, pour ceux qui y parviennent, la réalité est souvent loin de la vie rêvée pour les migrants souvent confrontés aux préjugés, voire aux discriminations. Dans un contexte économique dégradé, marqué par l’incertitude, l'arrivée de populations nouvelles est parfois vécue comme menaçante, alimentant les peurs et frustrations.

C'est oublier que la réalité est plus complexe et nuancée qu'il n’y paraît. Car si les migrants sont nombreux, ils ne représentent que 3,5 % de la population mondiale, loin du déferlement que certains voudraient décrire. Par ailleurs, la grande majorité d'entre eux se déplacent à l’intérieur de leur continent. En 2020, près de la moitié de tous les migrants internationaux résidaient dans leur région d’origine.

C'est oublier aussi que les déplacements de populations font partie de l'histoire de l'humanité depuis son origine. La plus ancienne présence humaine ou pré-humaine connue en dehors de l'Afrique remonte en effet à plus de deux millions d'années.

C'est oublier surtout que derrière la sécheresse des statistiques se cachent toujours des destinées humaines, des parcours de vie, parfois dramatiques, souvent heureux, et que de ces brassages de cultures naissent des métissages fructueux, des histoires réussies dans le monde des affaires, du sport, de la musique ou de la recherche scientifique. Sur le long terme, la contribution des migrants s'avère généralement un atout pour les sociétés d'accueil. Ce n'est pas une ONG qui le dit mais le Conseil de l'Europe. Dans un rapport de 2017 intitulé Les migrations, une chance à saisir pour le développement européen, il souligne que l'influence culturelle des migrants « a eu une grande incidence sur les tendances de l’art, de la mode et de la cuisine en Europe, au bénéfice de la diversité ».